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    Les cultures transgéniques bafouent l'agronomie et le développement

     

     

    Ce billet s'inscrit à la suite de celui consacré aux incertitudes scientifiques des manipulations génétiques. Il peut toutefois être lu séparément, puisqu'il aborde un tout autre aspect de la question.

     

     

     

    Après avoir longtemps prétendu que les OGM agricoles permettraient de réduire l'usage des pesticides, ce que toutes les études indépendantes contredisent rigoureusement, les partisans de cette technique essaient désormais de faire croire qu'elle pourrait être un outil de développement agricole. Bien au contraire, elle contribue à enfermer l'agriculture dans une impasse extrêmement dangereuse. Que ce soit clair : je ne parle pas ici des dangers environnementaux, qui sont toutefois réels, mais des dangers agronomiques.

     

     

    Une approche réductionniste qui bafoue l'agronomie... et la raison

     

    Il est aujourd'hui établi, et reconnu même par les institutions internationales pourtant conservatrices, que les techniques agricoles les plus performantes sont celles qui s'appuient sur les cultures associées (plusieurs cultures simultanées dans une même parcelle), l'agroforesterie, la diversité des lignées génétiques, l'adaptation au milieu et la valorisation de la main-d’œuvre. En outre, ces techniques-là sont les seules à être résilientes, c'est-à-dire capables de s'adapter aux variations climatiques. Les variations sont déjà naturellement importantes dans les milieux tropicaux (mousson irrégulière, sècheresses, typhons, etc.) et elles deviennent de plus en plus importantes en Europe et Amérique du Nord à cause du dérèglement climatique. Ces techniques d'avenir imposent une vision systémique ou holistique, c'est-à-dire de concevoir l'agriculture comme un système d'interrelations complexes entre environnement, plantes cultivées, animaux et humains. Il serait temps que certains biologistes moléculaires comprennent que le système hommes-plantes-sols est en co-évolution depuis des centaines de millions d'années (puisque les humains ne sont que la dernière étape d'une évolution commencée avec les premiers mammifères), et que son aménagement impose une humilité et une extrême rigueur méthodologique.

     

    Les biotechnologies sont par définition à l'exact opposé de cette approche. Elles relèvent d'une démarche intellectuelle totalement archaïque, qui consiste à réduire le réel à des équations simples et à négliger les interrelations complexes entre plantes et milieu. Elles ne permettent pas des adaptations permanentes aux terroirs, puisqu'elles sont obligatoirement standardisées, ce qui les empêche d'être résilientes. Avec les cultures transgéniques, chaque fois que subviendra une nouvelle maladie ou un problème climatique (sècheresse, pluies trop abondantes), ce sont des millions d'hectares de cultures qui seront impactés et dont les rendements seront balayés. C'est totalement irresponsable, voire criminel, dans le contexte planétaire actuel. La standardisation et l'uniformisation sont des approches du passé, même si elles prétendent s'appuyer sur des techniques modernes.

     

    J'insiste sur le fait que ce travers est consubstantiel aux OGM agricoles. Il ne s'agit pas d'un défaut à corriger, mais de leur définition-même ! Un OGM consiste par essence à prétendre « contrôler » et modéliser le vivant, alors même qu'aucun biologiste (et a-fortiori aucun généticien sérieux) ne peut affirmer connaître plus de 5 à 10 % des paramètres et des interrelations complexes en jeu. Il faut bien comprendre que cette imposture gravissime est bien plus vaste que la question de la régulation des gènes évoquées dans mon précédent billet. Elle concerne la constitution nutritionnelle et organique des plantes et animaux : le nombre de paramètres (minéraux, polyphénols, propriétés moléculaires des graisses, sucres et protéines...) et de combinaisons entre paramètres est si astronomique qu'une modélisation valable de l'alimentation nécessiterait un ordinateur de la taille de l'univers connu. Sur un plan scientifique, l'ambition des cultures transgéniques est une insulte à l'agronomie et à la raison.

     

    Ainsi, même l'argument fantasmatique qui supposerait l'apparition miraculeuse d'OGM décentralisés et reproductibles (qui relève d'un déni des réalités sociales et économiques, voir ci-dessous) ne tient pas, puisqu'il ne peut pas effacer ce biais scientifique fondateur et irrémédiable. Les OGM sont l'aboutissement caricatural de la pensée réductionniste, or le réductionnisme est dépassé depuis la fin du XIXe siècle (la physique quantique, la relativité, la théorie du chaos, la recherche médicale moderne... sont à l'exact opposé du réductionnisme). Les plantes transgéniques ressortissent ainsi plus à la « pensée magique » qu'à la science moderne.

     

     

    Une approche centralisée qui nie les fondements du développement

     

    En outre, les biotechnologies sont, là encore par définition et inévitablement, conçues en laboratoire et de façon centralisée. Leur rentabilité (et donc leur existence !) suppose une production en masse, vendue dans des terroirs pourtant différents, et une protection par des brevets. En plus de l'uniformisation dangereuse que je viens de décrire, cela conduit à nier les savoirs paysans et surtout à détruire toute dynamique de développement. Chaque société est le résultat d'une histoire et d'interactions complexes avec son territoire, qui se traduisent par une organisation culturelle, économique et sociale. Tous les spécialistes du développement1 insistent sur le fait que ce dernier n’est efficace et durable que lorsqu’il est endogène, c'est-à-dire basé sur des ressources internes (économiques, géographiques, techniques mais aussi culturelles et intellectuelles). Toute autre démarche ne conduit qu’à l’assistanat et la dépendance. En d'autres termes, il est impératif que les sociétés maîtrisent directement les choix techniques et sociaux qu'elles réalisent, à leur échelle propre. Il ne peut pas y avoir de développement lorsque des « savants » ou des financiers apportent à ces sociétés des techniques qui leur sont exogènes (extérieures) et qu'elles ne peuvent pas définir, créer, reproduire ou modifier elles-mêmes. Cette dernière démarche est celle du colonialisme, qui est aussi destructeur et odieux lorsqu'il se prétend paternaliste et bienveillant que lorsqu'il assume son cynisme prédateur. Or les OGM sont triplement exogènes : politiquement (car imposés par des acteurs extérieurs aux sociétés paysannes considérées), économiquement (car la diffusion des OGM est sous le contrôle des multinationales et de leurs objectifs économiques) et techniquement (puisque la création et la reproduction des OGM dépendent d’une technique que les paysans ne peuvent pas maîtriser à l’échelle d’un village ou d’une région).

     

    Pour cette raison, sur un plan anthropologique et économique, les OGM sont également un contresens total. Ce problème est bien évidemment renforcé par le fait qu'ils sont brevetés et diffusés par des multinationales, dont l'intérêt économique ne peut pas être celui des paysanneries du monde. Il faut beaucoup de cynisme (ou d'inconscience) pour prétendre croire que la rentabilité financière des actionnaires des multinationales puisse être compatible avec le développement agricole réel.

     

     

    L'exemple édifiant du « riz doré »

     

    Pour donner un exemple concret, certains chercheurs prétendent répondre à la malnutrition en Asie du Sud par une modification génétique du riz qui lui ajouterait de la vitamine A (« riz doré »). Même en imaginant que ce projet aboutisse un jour, ce qui reste douteux, ce serait tout simplement une catastrophe alimentaire et agricole. Ses partisans sont de dangereux irresponsables.

     

    En effet, les systèmes agraires traditionnels des civilisations du riz (Chine, Inde, Indochine...) étaient basés sur une très grande diversité de cultures associées, en rotation rapide avec deux à trois récoltes par an, incluant de nombreux légumes. Depuis l'industrialisation et la mal-nommée révolution verte, ils ont été spécialisés dans la monoculture obsessionnelle de riz, qui a uniformisé l'agriculture et poussé une partie des paysans vers les faubourgs urbains où ils meurent de faim. Il va de soi qu'un sol et un milieu agricole ne peuvent pas produire trois récoltes de riz par an sans se retrouver totalement déséquilibrés. L'appauvrissement du régime alimentaire sud-asiatique est le reflet de l'appauvrissement des sols, de l'agriculture et de la société. Même si le prétendu « riz doré » apportait des vitamines A en quantité correcte, il conduirait à renforcer l'aberration totale d'un modèle agricole détruisant le milieu et les humains, dans un cercle vicieux mortifère. De plus, la focalisation sur le riz provoquerait forcément d'autres carences, puisque personne ne peut modéliser l'alimentation de façon suffisamment fine pour introduire l'une après l'autre toutes les vitamines dans un aliment unique. Le mythe du « riz doré » est une négation de la science, et provoquerait bien plus de dégâts agronomiques et alimentaires qu'il ne prétend en résoudre. La solution alimentaire en Asie du Sud passe par une nourriture diversifiée, qui va de pair avec des cultures associées, des rotations et des arbres fruitiers, c'est-à-dire par l'agronomie et la réappropriation de l'agriculture par les paysans.

     

     

     

    Les OGM agricoles peuvent être séduisants pour le chercheur qui les crée dans son laboratoire, mais ces plaisirs intellectuels sont déplacés dès lors qu'il est question de nourrir le monde. Ils peuvent même être qualifiés de criminels puisqu'ils empêchent la mise en œuvre de vraies dynamiques de développement et n'ont aucune résilience face aux changements climatiques. Ils ne peuvent qu'appauvrir et fragiliser les systèmes agraires, et par conséquent provoquer à moyen terme des catastrophes alimentaires et sociales. L'avenir de l'agriculture est dans la réhabilitation de l'agronomie, c'est-à-dire d'approches complexes basées sur les interactions locales entre les sols, les plantes, les animaux, l'environnement naturel et les humains. Ces approches imposent de développer des variétés végétales très nombreuses qui s'adaptent à chaque milieu et évoluent en permanence avec lui, de remettre en valeur l'observation et les savoirs paysans, de multiplier les cultures dans chaque terroir (rotations et cultures associées) et de réaliser des micro-expérimentations diversifiées. En renforçant la centralisation et la standardisation, les OGM prétendent résoudre les problèmes de l'agriculture contemporaine... en en renforçant les causes !

     

     

    1  Jean-Pierre Olivier de Sardan, Georges Balandier, Pierre Pradervand, François de Ravignan, Céline Germond-Duret, Samir Amin, Philippe Lavigne-Delville...

     

     

     


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    Qu'est-ce qu'un gène ?

     

     

    Je dois préciser que je ne vais parler ici que des organismes issus de transgenèse, c'est-à-dire les plantes et animaux habituellement désignés comme étant « OGM » (organismes génétiquement modifiés). Je reviendrai probablement dans un billet ultérieur sur d'autres modifications génétiques, telles que celles résultant de la mutagenèse aléatoire qui échappent actuellement à la réglementation européenne sur les OGM, ou encore celles obtenues par mutagenèse dirigée, que les industries semencières tentent abusivement d’exonérer de cette réglementation. Contrairement à l'étrange définition restrictive mise en avant par ces industriels et une partie des chercheurs institutionnels, la transgenèse n'est pas la seule « modification génétique » à poser des problèmes scientifiques et environnementaux. Pour autant, je me concentrerai dans ces deux billets sur la seule transgenèse, qui est un sujet à part entière.

     

    Ce premier billet rappellera ce que sont réellement un gène et un OGM, ce qui permet déjà de comprendre le grave problème posé par la transgenèse et l'imposture de ceux qui invoquent la rationalité scientifique pour défendre un jeu éminemment irrationnel. Un second billet expliquera leur inutilité agricole et montrera en quoi ils sont même la négation absolue du développement agricole et une cause inéluctable d'aggravation de la faim dans le monde.

     Photo : Bioalaune

     

     

    Une manipulation intéressante... en laboratoire

     

    La transgenèse, utilisée dans toutes les plantes, animaux et microorganismes actuellement présentés officiellement comme étant des OGM, consiste à insérer dans un ou plusieurs chromosome(s) (chaîne d'ADN, support de l'hérédité) une séquence d'ADN extérieure (provenant d’un autre organisme) qui ajoute une information nouvelle. Les cellules vivantes ainsi modifiées peuvent sécréter des protéines « étrangères » ou acquérir des caractéristiques nouvelles. C'est là un procédé très utile tant pour la recherche fondamentale que dans le domaine médical, pour plusieurs raisons. La première est qu'il permet de disposer de cellules combinant plusieurs caractères utiles pour une recherche donnée, et de mettre au point des protocoles expérimentaux instructifs, en particulier dans le domaine de la biologie cellulaire. La seconde est qu'il donne l'occasion d'étudier en quoi l'insertion d'une séquence d'ADN dans un chromosome va influer sur les mécanismes cellulaires, ce qui augmente le champ des connaissances en génétique fondamentale. La troisième, qui sort de la recherche proprement dite, est qu'il permet notamment de faire fabriquer des molécules médicales par des cellules que les scientifiques savent cultiver et contrôler.

     

    Ces différents usages sont discutables, mais parfaitement défendables et peuvent avoir une réelle utilité. Les OGM en tant qu'outils de recherche sont donc acceptables s'ils sont rigoureusement contrôlés et confinés. J'insiste : il s'agit bien alors d'outils, l’OGM n’étant pas ici une fin en soi. Ils sont des tournevis, des boulons, des pinces, c'est-à-dire des vecteurs pour d'autres travaux. Ils n'ont alors aucune raison de sortir des laboratoires – et ne doivent surtout pas en sortir.

     

     

    Un gène n'est pas un fragment d'ADN

     

    La transgenèse a été l'objet d'une mystification gravissime, celle qui consiste à assimiler le gène à un simple « fragment d'ADN », et à le considérer comme une entité autonome. Cette simplification, qui sert de base à toute la propagande des promoteurs des OGM, est soit une manipulation criminelle, soit une inquiétante preuve d'incompétence.

     

    Un gène est une entité complexe tant dans sa structure que dans son fonctionnement. Il a été identifié et défini un siècle avant que l'ADN ne soit découvert, ce qui prouve bien qu'il n'est absolument pas réductible à ce support moléculaire. L'information génétique détermine le fonctionnement cellulaire et les caractères de l'organisme. Mais toutes les informations contenues dans un « gène » (caractère, modalité de développement, synthèse protéique, etc.) sont le résultat d'interactions complexes entre les segments d'ADN, l’ensemble des autres composants de la cellule qui les abrite, et l'environnement1.

     

     

    Les interactions au sein de la chaîne ADN : un système qui dépasse tous les modèles

     

    J'ai bien écrit que chaque gène est le résultat d'interactions complexes, notamment entre les segments d'ADN, au pluriel. C'est en effet le premier mensonge des promoteurs d'OGM qu'il convient de rectifier : un gène n'est pas déterminé par un seul segment d'ADN, mais par plusieurs, qui interagissent entre eux. Il est utile de savoir que ces interactions proviennent notamment du fait qu'un chromosome n'est pas un tube spiralé bien aligné, mais ressemble davantage à un fil emberlificoté.

     

    Il est utile de visualiser le malentendu – et la réalité. Les chaînes d'ADN qui forment les chromosomes ont la forme d'une double hélice, ce qui conduit à les représenter ainsi :

    Double hélice d'ADN (zoomée)

     

    Cette représentation est exacte si l'on considère l'ADN nu, mais assez manipulatrice dans son usage habituel, toujours bien droite et zoomée. En effet, elle suggère une continuité linéaire, qui donnerait ceci en s'éloignant :

    Double hélice d'ADN en représentation linéaire (théorique)

     

    Or, ce brin rectiligne ne reflète pas l’état dans le quel l’ADN se trouve dans la cellule. Toute la mystification des promoteurs des OGM peut être résumée dans cette représentation... qui est fausse ou pour le moins simpliste. En couper un segment pour le remplacer par un autre semble simple et modélisable. Or, la réalité est tout autre, comme l'ont notamment montré Edith Heard et Guido Tiana. Les chaînes ADN ne sont absolument pas rectilignes mais emberlificotées autour de complexes de protéines, formant ce qu'ils appellent des pelotes :

    Chaîne ADN en représentation réelle (enchevêtrement à comprendre en 3 dimensions)

     

    Cette structure beaucoup plus complexe appelée chromatine est plus ou moins compact. Ce degré de compaction peut varier en fonction de divers signaux (hormonaux, cellulaires, environnementaux...), et va conditionner l’aptitude d’un gène à s’exprimer (à être fonctionnel). L'ajout d'un segment d'ADN à l'intérieur d'un chromosome ne se produit donc pas dans une ligne droite, comme le pensent implicitement la plupart de ceux qui ont vu les représentations classiques de la double-hélice, mais dans un objet replié sur lui-même en trois dimensions... et cela change tout ! Cette forme spatiale signifie que les différents segments d'ADN, associés à des protéines, sont plus ou moins proches les uns des autres et interagissent à partir de ces positions (déterminées notamment par leurs attractions ou répulsions électriques).

     

    La conséquence est d'une importance considérable : l'ajout d'un segment d'ADN modifie la forme spatiale du chromosome. Ajouter (ou supprimer) quelques bases d'ADN va déplacer les positions relatives des autres portions du chromosome, et conduire à réorganiser les rapprochements ou répulsions électriques. L'expression d'autres gènes va donc en être modifiée. Cette modification est actuellement totalement inconnue ; les chercheurs en génétique fondamentale savent qu'elle existe, mais ne peuvent ni la mesurer ni la prévoir. Laisser sortir des laboratoires des cellules dont les modifications sont impossibles à modéliser et à prévoir est une irresponsabilité ahurissante.

     

     

    L'épigénétique : la révolution de la triple hélice

     

    Mais cette irresponsabilité est encore plus importante. En effet, l'expression des chaînes d'ADN est non seulement régulée par les autres segments de la même chaîne, mais également par l'environnement. La vision réductionniste « un segment d'ADN = un caractère » est aujourd'hui totalement archaïque, totalement invalidée par la génétique moderne. Les généticiens savent désormais pertinemment que le fonctionnement des gènes est déterminé par des signaux cellulaires et environnementaux (facteurs épigénétiques) et pas seulement par l'ADN lui-même. Cela explique d'ailleurs pourquoi les différentes cellules d’un même organisme ont des spécialités différentes (cellules hépatiques, cardiaques, rénales, etc.) alors qu’elles contiennent le même ADN nu ! Dans un environnement différent (climat plus chaud, autre écosystème, évolution de la luminosité ou de l'humidité, etc.), un même segment d'ADN n’aura pas nécessairement la même fonctionnalité.

     

    Cette interaction profonde entre l'ADN et l'environnement, qui interdit toute réduction du gène à l'ADN seul et qui rend actuellement impossible la moindre prévision en matière génétique, a été joliment formalisée par le grand généticien étatsunien Richard Lewontin par la notion de triple hélice. À la double hélice moléculaire identifiée par Crick, Watson, Wilkins et Franklin (cette dernière, à l'apport pourtant décisif, est souvent injustement oubliée dans l'énumération), il ajoute une troisième : l'environnement. C'est notamment cette dimension qu'essaie d'intégrer la génétique des populations à travers l'étude d'organismes réels in situ.

     

    Je pourrais encore ajouter le problème de la pléiotropie, c'est-à-dire le fait qu'un même fragment d'ADN intervient dans l'expression de plusieurs caractères. Très souvent, en croyant modifier un gène précis, les OGM conduisent à en modifier plusieurs à la fois, sans le savoir à l'avance faute de disposer de modèles complets d'un système impossible à modéliser totalement.

     

     

    Un drôle de jeu...

     

    Pour toutes ces raisons, ceux qui prétendent qu'ils « savent » ce qu'ils ont modifié dans un organisme en y ajoutant un segment d'ADN sont soit de graves incompétents, soit des menteurs. Je pèse mes mots. Personne n'en sait rien. Une modification d'une chaîne d'ADN peut avoir des conséquences totalement imprévisibles sur le gène concerné ou sur d'autres gènes dont personne ne peut savoir qu'ils lui sont liés. Nous nageons dans un domaine qui nous dépasse entièrement et dans lequel nous n'en sommes encore qu'à déchiffrer l'alphabet sans en connaître la syntaxe. Y travailler en laboratoire est passionnant. Lancer des applications dans la nature est effarant voire criminel.

     

    Il n'est pas anodin de constater qu’un grand nombre de chercheurs en génétique fondamentale et en génétique des populations, c'est-à-dire ceux qui travaillent sur la compréhension de l'épigénétique et de l'expression complexe des gènes, sont opposés aux OGM hors laboratoires. Les chercheurs faisant la promotion des OGM ne sont que très rarement des généticiens ! Ils sont en réalité des biologistes moléculaires, qui savent utiliser les OGM en tant qu'outils et se font un plaisir de le faire... mais ne produisent que très peu de savoirs fondamentaux. Beaucoup d'entre eux n'ont d'ailleurs pas de formation poussée en génétique. La posture d'experts qui est la leur est, dans un nombre important de cas, une imposture. Savoir utiliser un outil n'autorise pas à se poser en spécialiste de sa conception ni à prétendre assurer de ses conséquences.

     

    Pour avoir moi-même participé à des concertations institutionnelles sur les OGM, j'ai pu constater à quel point les chercheurs qui font la promotion de la transgenèse se comportent en joueurs égocentriques. Leur défense des OGM est profondément irrationnelle, puisqu'elle s'appuie sur la négation des interactions entre gènes (structure spatiale de l'ADN) et de l'épigénétique ! Elle répond en réalité à une motivation ludique : les OGM sont leur terrain de jeu, et ils s'extasient devant les possibilités d'élargir son périmètre. Pour justifier la poursuite de leur jeu, ils doivent effacer (consciemment ou inconsciemment, donc par mensonge ou incompétence) la complexité réelle de l'expression génétique. Ils sont bien mal placés pour invoquer la rationalité scientifique alors que leur « omission » de la réalité de la génétique trahit chez eux une motivation foncièrement irrationnelle.

     

     

     

    NB : il est utile de préciser que cet article a été relu et validé par un généticien moléculaire.

     

    [Edit : Une étude publiée en décembre 2016 dans la revue Scientific Reports confirme très exactement la complexité des modifications induites par les manipulations génétiques, et l'imprévisibilité des conséquences globales de ces manipulations. Le présent article pourrait pratiquement en constituer l'introduction à l'attention du grand public.]

     

     

    1   Pour une compréhension de la définition réelle d'un gène, non-réductible à l'ADN, cf. Le Guyader Hervé, « Qu’est-ce qu’un gène ?  », in Le Courrier de l’Environnement de l’INRA, n°44, octobre 2001.

     

     

    Suite : Les cultures transgéniques bafouent l'agronomie et le développement

     

     


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    Même si ce blog est avant tout un lieu d'expression écrite, il est utile de rappeler que l'essentiel de mon activité de « passeur » de solutions pour changer d'agriculture se déroule à l'oral, sous la forme de conférences-débats, de formations, de tables-rondes, de projections-débats, etc. (dont cette page donne un florilège).

     

    Deux émissions télévisées, auxquelles j'ai participé en début d'année, permettent d'illustrer cette activité, et, j'espère, de renforcer et multiplier les moyens d'informer, de former et de convaincre. Comme je l'indiquais dans un autre billet, mon objectif est celui de l'éducation populaire : donner à chacun les explications et clefs de compréhension pour se forger ensuite sa propre opinion, en évitant les mots d'ordre simplistes et la position d'autorité. J'espère y parvenir même dans ces formats courts qui ne facilitent pas la complexité et les nuances. À vous de dire si le pari est gagné.

     

     

    Interview par John-Paul Lepers dans l'émission « Vox-Pop » (Arte)

     

     

     

    Débat sur les semences dans l'émission « Samedi soir, dimanche matin, le débat » (Public Sénat)

     

     

     

     


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    La Journée de la Terre mettait cette année l'arbre à l'honneur. Voilà une occasion d'insister sur le rôle central que peut, et que doit, jouer l'arbre dans l'agriculture de demain.

     

    Maraîchage entremêlé d'arbres (sud Massif Central) - Photo J. Caplat

     

    Un malentendu européen

     

    Alors que les arbres sont intimement intriqués avec l'agriculture traditionnelle africaine, sud-américaine et asiatique, ils ont longtemps été vus par les agriculteurs européens comme des adversaires. Cet aveuglement et ce contresens sont peut-être des conséquences de la logique des défrichages des 1.000 dernières années, où l'agriculture se concevait comme une victoire sur la forêt. Ils relèvent plus sûrement et de toute façon d'une logique réductionniste, consistant à « réduire » l'agriculture à des modèles simplistes oubliant les interrelations entre les éléments du système.

     

    En effet, à première vue, les arbres font baisser les rendements : ceux-ci sont plus faibles en dessous des branches, tout les agriculteurs le constatent. En revanche, ils n'ont longtemps pas disposé des outils scientifiques pour constater que les rendements sont plus importants au milieu d'une parcelle cernée d'arbres qu'au milieu d'un espace dénudé, ce qui est « perdu » sous l'arbre étant regagné plus loin. Si l'on élargit le regard en intégrant la temporalité, le bénéfice des arbres est encore supérieur puisqu'ils enrichissent les sols à long terme, année après année. Enfin, il ne faut pas oublier que l'arbre lui-même produit de la biomasse utilisable pour l'agriculture (branches servant de fourrage d'appoint), le chauffage, l'alimentation humaine (châtaignes, noix, cerises, pommes, olives...) ou l'artisanat et l'industrie (bois d'œuvre).

     

     

    Stabiliser et enrichir les sols

     

    Quoi de plus fertile qu'un sol forestier ? Sans aucune intervention humaine, les forêts construisent des sols stables, riches en matière organique et extrêmement bien structurés. Outre la fertilité durable procurée par la matière organique (débris de feuilles, de brindilles et de végétaux herbacés qui s'incorporent progressivement au sol), les sols forestiers possèdent une structure exceptionnelle, c'est-à-dire qu'ils sont à la fois aérés et souples, ce qui permet la circulation de l'air et de l'eau, et d'une stabilité incomparable (ils ne se délitent pas sous la pluie, ils maintiennent une cohérence même lorsqu'ils sont soumis à des outils mécaniques ou des incidents climatiques). Cet équilibre fécond entre souplesse et solidité hors norme s'explique par plusieurs caractéristiques des arbres.

     

    En protégeant la terre des pluies violentes et des vents, les forêts évitent son érosion et son compactage. Par le bris régulier et épars de brindilles et par la chute saisonnière des feuilles, les forêts apportent au sol une matière organique riche et particulièrement facile à incorporer aux argiles. Par des systèmes racinaires complexes, profonds et denses, les arbres émiettent la roche, aèrent la terre, et évitent la constitution de mottes compactes ou de glacis limoneux. Enfin, les racines denses et profondes permettent littéralement d'irriguer le sol, c'est-à-dire de faciliter l'infiltration des eaux de pluie, ce qui leur évite de stagner ou de ruisseler, et ce qui permet leur stockage dans la matière organique des sols et leur réutilisation en saison sèche.

     

    L'arbre agit donc sur le sol par dessus et par dessous. Par dessus, il l'enrichit et le protège. Par dessous, il l'émiette, le structure, l'aère et l'irrigue. Une vraie merveille agronomique.

     

     

    Un support de biodiversité

     

    J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer dans d'autres billets l'importance de renouer un lien fertile entre agriculture et environnement. Il est urgent, et vital, que les agriculteurs cessent de considérer le milieu naturel et les organismes sauvages comme des adversaires qu'il faudrait contrôler voire éliminer. L'agriculture n'a de sens que lorsqu'elle est inscrite dans son environnement, c'est-à-dire lorsqu'elle s'appuie sur lui au lieu de le combattre. Il ne s'agit pas de lutter contre le milieu naturel, mais de savoir en émerger de façon positive et dynamique.

     

    Dans cette perspective, l'arbre devient incontournable. Je devrais plutôt écrire « les arbres », car une diversité d'essences est hautement souhaitable : il ne faut pas reproduire à l'échelle des arbres l'erreur d'uniformité qui caractérise nos cultures agricoles. Les arbres représentent des milieux de vie et des abris pour toute une flore et une faune exceptionnelle – bien au-delà des insectes et oiseaux auxquels nous pouvons spontanément songer.

     

    En particulier, les arbres jouent un rôle précieux de régulateur agricole. En abritant des insectes prédateurs de certains parasites, en hébergeant des oiseaux, des chauves-souris et des batraciens, les haies et les arbres isolés permettent de limiter les attaques contre les cultures et d'en améliorer les rendements. Dans les fermes céréalières, par exemple, la présence de haies conduit à limiter les dégâts des limaces et à éviter que ces dernières ne détruisent une partie des jeunes pousses. Elles abritent en effet des carabes (sortes de scarabées), dont aussi bien les larves que les adultes se nourrissent de limaces. Même la présence de lierre peut être positive, car ce végétal sert de refuge hivernal pour les coccinelles, qui se nourriront ensuite des pucerons en les régulant.

     

    À l'heure où certains ministres ou chercheurs exaltent le biocontrôle, c'est-à-dire le remplacement d'une partie des pesticides chimiques par l'achat régulier d'insectes prédateurs d'autres insectes (ce que l'on appelle les auxiliaires des cultures), il convient de rappeler que la véritable agroécologie ne consiste pas à acheter chaque année des insectes exogènes – mais à permettre leur vie permanente et leur reproduction sur la ferme, dans le cadre d'un écosystème cohérent ! Pourquoi acheter sans cesse des coccinelles ou des carabes, alors qu'il suffit de maintenir des haies pour qu'ils s'installent durablement sur place ?

     

    Il ne faut pas oublier enfin que les arbres sont extrêmement utiles aux animaux... domestiques. La santé (et la productivité) d'un troupeau disposant d'ombre en été et d'abris contre le vent sont nettement meilleures que celles d'un troupeau laissé dans un pré nu.

     

    Pré-verger - Photo P. Van Lerberghe / Association française d'agroforesterie

     

    Un générateur de mycorhizes

     

    Un sol vivant abrite de nombreux micro-champignons (jusqu'à 60 % de sa biomasse). Or, les champignons ne pratiquent pas la photosynthèse et doivent s'associer à une autre forme de vie pour en récupérer de la matière organique et notamment des sucres. La forme la plus fascinante d'association est la mycorhize, symbiose entre les mycéliums des micro-champignons et les racines (rhizomes) des plantes et des arbres. La mycorhize permet de mettre en commun les éléments minéraux et l'eau absorbée par les différents organismes qui s'y relient, les champignons jouant alors un rôle d'intermédiaires... rémunérés en nature.

     

    Ainsi, ce réseau permet non seulement de multiplier par 10 la surface racinaire brute et la puissance d'extraction de l'eau interstitielle, mais surtout de connecter et d'optimiser les facultés des différentes plantes : récupération des pluies légères par les plantes à enracinement superficiel, pompage des eaux profondes par les plantes à enracinement profond, absorption des éléments minéraux de la roche-mère par les arbres à enracinement profond, etc. Toutes ces ressources deviennent dès lors disponibles pour l’ensemble des végétaux connectés !

     

    Même si de nombreuses espèces végétales, y compris agricoles, peuvent développer une mycorhize, la présence d’arbres est un facteur crucial, à la fois parce qu'ils vont servir de réseau structurant autour duquel la mycorhize s’organise, et parce que leur enracinement profond va apporter des ressources hydriques et minérales précieuses à l’ensemble des plantes ainsi reliées. Sans arbres, une mycorhize ne met en commun que les ressources superficielles d'un sol ; avec des arbres bien choisis, elle apporte aux plantes des ressources profondes issues de la roche-mère ou des nappes phréatiques.

     

     

    Des associations à inventer

     

    Contrairement aux autres agricultures du monde, l'agriculture européenne dispose de peu de savoirs sur l'intégration des arbres. Bien sûr, il a existé des systèmes de prés-vergers où les animaux pâturaient sous des arbres fruitiers, mais ils restaient peu développés et peu étudiés par les agronomes et administrateurs. Bien sûr, la vigne traditionnelle méditerranéenne incluait des arbres (et des cultures !), mais elle a été remplacée depuis longtemps par des territoires uniformes de vigne pure.

     

    Des agriculteurs, le plus souvent en agriculture biologique, cherchent heureusement à retrouver et inventer des systèmes dits « agroforestiers ». Cela peut prendre la forme de prés-vergers, de plantations d'arbres dans des cultures céréalières, de reconstitution de haies plus diversifiées en diminuant la taille des parcelles, de permaculture, etc. Le choix des essences n'est pas toujours simple. Ainsi, des arbres au feuillage très épais peuvent être utiles en milieu méditerranéen où les pluies estivales sont rares et intenses, car leur feuillage amortit l'impact des orages (ce qui évite l'érosion) tout en permettant quand même à la pluie de pénétrer plus doucement jusqu'au sol... mais ils sont alors inadaptés à des climats plus tempérés avec des pluies estivales plus fréquentes et légères, car ils intercepteront les pluies fines en les empêchant de parvenir au sol. L'accès des cultures au soleil est un autre impératif dont la solution variera selon les régions. Différentes formes d'adaptation sont envisageables : au climat, à la composition de la terre, à la topographie, aux champignons du sol, etc. Toutes ces expérimentations prennent du temps compte-tenu de la durée de croissance d'un arbre ! C'est donc tout un champ de recherche qui est encore ouvert pour les agronomes et les paysans.

     

    Quoi qu'il en soit, les arbres sont un facteur primordial de la stabilité d'un milieu face aux aléas climatiques, de sa résilience. Les agricultures traditionnelles des milieux non-tempérés ont su intégrer cette évidence à leurs pratiques. La période de dérèglement climatique qui s'amorce nous impose désormais de faire de même.

     

    Sarrasin et noyers

     

     

    NB : Pour en savoir plus sur l'agroforesterie, les expériences paysannes sur le sujet, et les programmes de recherche et de développement : Association française d'agroforesterie