• Pourquoi refuser les OGM agricoles - Première partie

     

     

    Qu'est-ce qu'un gène ?

     

     

    Je dois préciser que je ne vais parler ici que des organismes issus de transgenèse, c'est-à-dire les plantes et animaux habituellement désignés comme étant « OGM » (organismes génétiquement modifiés). Je reviendrai probablement dans un billet ultérieur sur d'autres modifications génétiques, telles que celles résultant de la mutagenèse aléatoire qui échappent actuellement à la réglementation européenne sur les OGM, ou encore celles obtenues par mutagenèse dirigée, que les industries semencières tentent abusivement d’exonérer de cette réglementation. Contrairement à l'étrange définition restrictive mise en avant par ces industriels et une partie des chercheurs institutionnels, la transgenèse n'est pas la seule « modification génétique » à poser des problèmes scientifiques et environnementaux. Pour autant, je me concentrerai dans ces deux billets sur la seule transgenèse, qui est un sujet à part entière.

     

    Ce premier billet rappellera ce que sont réellement un gène et un OGM, ce qui permet déjà de comprendre le grave problème posé par la transgenèse et l'imposture de ceux qui invoquent la rationalité scientifique pour défendre un jeu éminemment irrationnel. Un second billet expliquera leur inutilité agricole et montrera en quoi ils sont même la négation absolue du développement agricole et une cause inéluctable d'aggravation de la faim dans le monde.

     Photo : Bioalaune

     

     

    Une manipulation intéressante... en laboratoire

     

    La transgenèse, utilisée dans toutes les plantes, animaux et microorganismes actuellement présentés officiellement comme étant des OGM, consiste à insérer dans un ou plusieurs chromosome(s) (chaîne d'ADN, support de l'hérédité) une séquence d'ADN extérieure (provenant d’un autre organisme) qui ajoute une information nouvelle. Les cellules vivantes ainsi modifiées peuvent sécréter des protéines « étrangères » ou acquérir des caractéristiques nouvelles. C'est là un procédé très utile tant pour la recherche fondamentale que dans le domaine médical, pour plusieurs raisons. La première est qu'il permet de disposer de cellules combinant plusieurs caractères utiles pour une recherche donnée, et de mettre au point des protocoles expérimentaux instructifs, en particulier dans le domaine de la biologie cellulaire. La seconde est qu'il donne l'occasion d'étudier en quoi l'insertion d'une séquence d'ADN dans un chromosome va influer sur les mécanismes cellulaires, ce qui augmente le champ des connaissances en génétique fondamentale. La troisième, qui sort de la recherche proprement dite, est qu'il permet notamment de faire fabriquer des molécules médicales par des cellules que les scientifiques savent cultiver et contrôler.

     

    Ces différents usages sont discutables, mais parfaitement défendables et peuvent avoir une réelle utilité. Les OGM en tant qu'outils de recherche sont donc acceptables s'ils sont rigoureusement contrôlés et confinés. J'insiste : il s'agit bien alors d'outils, l’OGM n’étant pas ici une fin en soi. Ils sont des tournevis, des boulons, des pinces, c'est-à-dire des vecteurs pour d'autres travaux. Ils n'ont alors aucune raison de sortir des laboratoires – et ne doivent surtout pas en sortir.

     

     

    Un gène n'est pas un fragment d'ADN

     

    La transgenèse a été l'objet d'une mystification gravissime, celle qui consiste à assimiler le gène à un simple « fragment d'ADN », et à le considérer comme une entité autonome. Cette simplification, qui sert de base à toute la propagande des promoteurs des OGM, est soit une manipulation criminelle, soit une inquiétante preuve d'incompétence.

     

    Un gène est une entité complexe tant dans sa structure que dans son fonctionnement. Il a été identifié et défini un siècle avant que l'ADN ne soit découvert, ce qui prouve bien qu'il n'est absolument pas réductible à ce support moléculaire. L'information génétique détermine le fonctionnement cellulaire et les caractères de l'organisme. Mais toutes les informations contenues dans un « gène » (caractère, modalité de développement, synthèse protéique, etc.) sont le résultat d'interactions complexes entre les segments d'ADN, l’ensemble des autres composants de la cellule qui les abrite, et l'environnement1.

     

     

    Les interactions au sein de la chaîne ADN : un système qui dépasse tous les modèles

     

    J'ai bien écrit que chaque gène est le résultat d'interactions complexes, notamment entre les segments d'ADN, au pluriel. C'est en effet le premier mensonge des promoteurs d'OGM qu'il convient de rectifier : un gène n'est pas déterminé par un seul segment d'ADN, mais par plusieurs, qui interagissent entre eux. Il est utile de savoir que ces interactions proviennent notamment du fait qu'un chromosome n'est pas un tube spiralé bien aligné, mais ressemble davantage à un fil emberlificoté.

     

    Il est utile de visualiser le malentendu – et la réalité. Les chaînes d'ADN qui forment les chromosomes ont la forme d'une double hélice, ce qui conduit à les représenter ainsi :

    Double hélice d'ADN (zoomée)

     

    Cette représentation est exacte si l'on considère l'ADN nu, mais assez manipulatrice dans son usage habituel, toujours bien droite et zoomée. En effet, elle suggère une continuité linéaire, qui donnerait ceci en s'éloignant :

    Double hélice d'ADN en représentation linéaire (théorique)

     

    Or, ce brin rectiligne ne reflète pas l’état dans le quel l’ADN se trouve dans la cellule. Toute la mystification des promoteurs des OGM peut être résumée dans cette représentation... qui est fausse ou pour le moins simpliste. En couper un segment pour le remplacer par un autre semble simple et modélisable. Or, la réalité est tout autre, comme l'ont notamment montré Edith Heard et Guido Tiana. Les chaînes ADN ne sont absolument pas rectilignes mais emberlificotées autour de complexes de protéines, formant ce qu'ils appellent des pelotes :

    Chaîne ADN en représentation réelle (enchevêtrement à comprendre en 3 dimensions)

     

    Cette structure beaucoup plus complexe appelée chromatine est plus ou moins compact. Ce degré de compaction peut varier en fonction de divers signaux (hormonaux, cellulaires, environnementaux...), et va conditionner l’aptitude d’un gène à s’exprimer (à être fonctionnel). L'ajout d'un segment d'ADN à l'intérieur d'un chromosome ne se produit donc pas dans une ligne droite, comme le pensent implicitement la plupart de ceux qui ont vu les représentations classiques de la double-hélice, mais dans un objet replié sur lui-même en trois dimensions... et cela change tout ! Cette forme spatiale signifie que les différents segments d'ADN, associés à des protéines, sont plus ou moins proches les uns des autres et interagissent à partir de ces positions (déterminées notamment par leurs attractions ou répulsions électriques).

     

    La conséquence est d'une importance considérable : l'ajout d'un segment d'ADN modifie la forme spatiale du chromosome. Ajouter (ou supprimer) quelques bases d'ADN va déplacer les positions relatives des autres portions du chromosome, et conduire à réorganiser les rapprochements ou répulsions électriques. L'expression d'autres gènes va donc en être modifiée. Cette modification est actuellement totalement inconnue ; les chercheurs en génétique fondamentale savent qu'elle existe, mais ne peuvent ni la mesurer ni la prévoir. Laisser sortir des laboratoires des cellules dont les modifications sont impossibles à modéliser et à prévoir est une irresponsabilité ahurissante.

     

     

    L'épigénétique : la révolution de la triple hélice

     

    Mais cette irresponsabilité est encore plus importante. En effet, l'expression des chaînes d'ADN est non seulement régulée par les autres segments de la même chaîne, mais également par l'environnement. La vision réductionniste « un segment d'ADN = un caractère » est aujourd'hui totalement archaïque, totalement invalidée par la génétique moderne. Les généticiens savent désormais pertinemment que le fonctionnement des gènes est déterminé par des signaux cellulaires et environnementaux (facteurs épigénétiques) et pas seulement par l'ADN lui-même. Cela explique d'ailleurs pourquoi les différentes cellules d’un même organisme ont des spécialités différentes (cellules hépatiques, cardiaques, rénales, etc.) alors qu’elles contiennent le même ADN nu ! Dans un environnement différent (climat plus chaud, autre écosystème, évolution de la luminosité ou de l'humidité, etc.), un même segment d'ADN n’aura pas nécessairement la même fonctionnalité.

     

    Cette interaction profonde entre l'ADN et l'environnement, qui interdit toute réduction du gène à l'ADN seul et qui rend actuellement impossible la moindre prévision en matière génétique, a été joliment formalisée par le grand généticien étatsunien Richard Lewontin par la notion de triple hélice. À la double hélice moléculaire identifiée par Crick, Watson, Wilkins et Franklin (cette dernière, à l'apport pourtant décisif, est souvent injustement oubliée dans l'énumération), il ajoute une troisième : l'environnement. C'est notamment cette dimension qu'essaie d'intégrer la génétique des populations à travers l'étude d'organismes réels in situ.

     

    Je pourrais encore ajouter le problème de la pléiotropie, c'est-à-dire le fait qu'un même fragment d'ADN intervient dans l'expression de plusieurs caractères. Très souvent, en croyant modifier un gène précis, les OGM conduisent à en modifier plusieurs à la fois, sans le savoir à l'avance faute de disposer de modèles complets d'un système impossible à modéliser totalement.

     

     

    Un drôle de jeu...

     

    Pour toutes ces raisons, ceux qui prétendent qu'ils « savent » ce qu'ils ont modifié dans un organisme en y ajoutant un segment d'ADN sont soit de graves incompétents, soit des menteurs. Je pèse mes mots. Personne n'en sait rien. Une modification d'une chaîne d'ADN peut avoir des conséquences totalement imprévisibles sur le gène concerné ou sur d'autres gènes dont personne ne peut savoir qu'ils lui sont liés. Nous nageons dans un domaine qui nous dépasse entièrement et dans lequel nous n'en sommes encore qu'à déchiffrer l'alphabet sans en connaître la syntaxe. Y travailler en laboratoire est passionnant. Lancer des applications dans la nature est effarant voire criminel.

     

    Il n'est pas anodin de constater qu’un grand nombre de chercheurs en génétique fondamentale et en génétique des populations, c'est-à-dire ceux qui travaillent sur la compréhension de l'épigénétique et de l'expression complexe des gènes, sont opposés aux OGM hors laboratoires. Les chercheurs faisant la promotion des OGM ne sont que très rarement des généticiens ! Ils sont en réalité des biologistes moléculaires, qui savent utiliser les OGM en tant qu'outils et se font un plaisir de le faire... mais ne produisent que très peu de savoirs fondamentaux. Beaucoup d'entre eux n'ont d'ailleurs pas de formation poussée en génétique. La posture d'experts qui est la leur est, dans un nombre important de cas, une imposture. Savoir utiliser un outil n'autorise pas à se poser en spécialiste de sa conception ni à prétendre assurer de ses conséquences.

     

    Pour avoir moi-même participé à des concertations institutionnelles sur les OGM, j'ai pu constater à quel point les chercheurs qui font la promotion de la transgenèse se comportent en joueurs égocentriques. Leur défense des OGM est profondément irrationnelle, puisqu'elle s'appuie sur la négation des interactions entre gènes (structure spatiale de l'ADN) et de l'épigénétique ! Elle répond en réalité à une motivation ludique : les OGM sont leur terrain de jeu, et ils s'extasient devant les possibilités d'élargir son périmètre. Pour justifier la poursuite de leur jeu, ils doivent effacer (consciemment ou inconsciemment, donc par mensonge ou incompétence) la complexité réelle de l'expression génétique. Ils sont bien mal placés pour invoquer la rationalité scientifique alors que leur « omission » de la réalité de la génétique trahit chez eux une motivation foncièrement irrationnelle.

     

     

     

    NB : il est utile de préciser que cet article a été relu et validé par un généticien moléculaire.

     

    [Edit : Une étude publiée en décembre 2016 dans la revue Scientific Reports confirme très exactement la complexité des modifications induites par les manipulations génétiques, et l'imprévisibilité des conséquences globales de ces manipulations. Le présent article pourrait pratiquement en constituer l'introduction à l'attention du grand public.]

     

     

    1   Pour une compréhension de la définition réelle d'un gène, non-réductible à l'ADN, cf. Le Guyader Hervé, « Qu’est-ce qu’un gène ?  », in Le Courrier de l’Environnement de l’INRA, n°44, octobre 2001.

     

     

    Suite : Les cultures transgéniques bafouent l'agronomie et le développement

     

     

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