• Les cultures associées, clef du rendement

     

    L'un des plus grands malentendus de l'agriculture occidentale consiste à croire qu'il serait « évident » de cultiver une seule espèce par parcelle : champs de blé uniformes, cultures légumières en lignes monotones, vignes lancinantes, prairies de ray-grass, etc. Cette pratique, appelée cultures pures, est le résultat d'une histoire particulière et construit une agriculture fragile et peu performante.

     

    La fragilité des cultures pures

     

    Cette logique des cultures pures est caractéristique du « foyer moyen-oriental » de la révolution néolithique, dont descend l'agriculture européenne. Elle a été poussée à l'extrême avec la sélection végétale standardisée qui s'est généralisée depuis la fin de la seconde guerre mondiale. L'agriculture occidentale est désormais basée sur des variétés végétales dites « améliorées » et à hauts rendements ; mais ces rendements ne sont atteints qu'au prix de cultures uniformes de clones (tous les épis d'un champ de blé sont génétiquement identiques), d'une artificialisation des sols par des engrais chimiques, d'une immense fragilisation des végétaux qui impose de les protéger par des pesticides chimiques, et d'une mécanisation à outrance qui crée du chômage et qui détruit les paysages et les écosystèmes.

     

    Culture pure conventionnelle de blé (Photo Film Home )

     

    Pourtant, cette démarche n'est pas la seule possible ! D'autres foyers d'invention de l'agriculture, en Asie et en Amérique Centrale, se sont basés sur une technique diamétralement opposée et beaucoup plus performante : les cultures associées, c'est-à-dire la culture de plusieurs espèces simultanément (ou en très léger décalage temporel) dans la même parcelle.

     

    Optimiser les ressources du milieu

     

    L’association de cultures permet de bien mieux « couvrir » le sol et donc d'optimiser la photosynthèse. Il faut bien comprendre que le rôle de l'agriculture est de transformer l'énergie solaire en une énergie assimilable par les humains. La première fonction de l'alimentation est en effet de nous fournir une énergie métabolisable, puisque nous ne sommes pas capables d'utiliser directement celle du soleil – c'est pourquoi les rations alimentaires sont calculées en kilojoules.

     

    Le cas du maïs est édifiant. En Europe et en Amérique du Nord, cette plante est cultivée seule, et elle est encore peu développée en juin (ce qui signifie qu'une grande partie des champs de maïs est composée de sol nu, avec de petits épis qui commencent à peine à étaler leurs feuilles). Or le mois de juin est celui du solstice d'été, où les rayons du soleil sont les plus énergétiques ! Du maïs en culture pure représente un gâchis en matière de photosynthèse, puisque la majorité des rayons du soleil tombent sur de la terre nue ou ne bénéficient qu'aux herbes indésirables.

     

    À l'inverse, les « inventeurs » du maïs en Amérique centrale l'ont toujours cultivé en cultures associées, notamment en intercalant des haricots et des courges avec les épis de maïs. Cette association de trois cultures assure une couverture permanente du sol (la courge se développant avant le maïs), et donc une utilisation beaucoup plus intense des rayons du soleil. Il en est de même pour tout autre système : l'association de plusieurs cultures permet toujours d'améliorer le rendement photosynthétique, et d'assurer une production de biomasse plus importante.

     

      Maïs pur (photo La France Agricole)          Maïs en cultures associées (photo Juanfra)

     

    Par ailleurs, lorsque la culture intègre des arbres et se développe sur un sol riche en microchampignons (ce qui impose que la parcelle ne reçoive pas de fongicides), il se crée un réseau racinaire symbiotique entre arbres, champignons et plantes agricoles. Ce réseau, qui s'appelle la mycorhize, permet de multiplier par 10 la surface d'absorption racinaire et assure une mutualisation des nutriments et de l’eau. Lorsque le système racinaire profond des arbres va pomper de l'eau ou du potassium en profondeur, il les restitue immédiatement à la mycorhize et peut en faire profiter les plantes agricoles !

     

    Le renouvellement de la fertilité

     

    Plusieurs plantes différentes ne mobilisent pas exactement les mêmes minéraux du sol. Mais le bénéfice des cultures associées va bien plus loin : ces dernières sont choisies de manière à enrichir le sol, ou tout au moins assurer le renouvellement de sa fertilité à long terme.

     

    En premier lieu, la base de l'agronomie devrait être d'associer systématiquement des légumineuses aux autres cultures. Les légumineuses (pois, haricot, soja, arachide, trèfle...) présentent en effet la particularité de capter l'azote atmosphérique et de le fixer dans le sol sous une forme organique, grâce à une symbiose bactérienne au niveau de leurs racines, les nodosités à rhizobium. Il est par conséquent totalement faux et manipulatoire de prétendre que l'agriculture nécessiterait une fertilisation azotée minérale. Il est très facile d'assurer des apports d'azote organique grâce aux légumineuses, qui constituent une très grande famille végétale présente dans tous les milieux de la planète et qui offrent une grande diversité de choix. De plus, cet azote organique est stable, c'est-à-dire qu'il n'est pas lessivé par les pluies et ne pollue pas les ressources hydriques.

     

    La présence d'arbres est extrêmement positive à long terme et à l'échelle de la parcelle. Ils sont en effet capables d'aller absorber du potassium voire du phosphore dans les couches profondes du sol, là où les racines des cultures agricoles ne peuvent descendre. Une partie du phosphore peut être restitué par la chute des feuilles et les bris de brindilles, mais c'est surtout le potassium qui est massivement restitué par les arbres lors de la « descente de sève » à l'automne. Comme il est bien évidemment restitué tout le long des racines, ce sont toutes les couches du sol qui sont régulièrement enrichies.

     

    Enfin, certaines cultures (comme le sarrasin) peuvent rendre « disponible » du phosphore considéré habituellement comme « indisponible », et bénéficier ainsi à d'autres cultures. Il faut ajouter que la présence d'animaux (et par conséquent de fumier ou de compost) est utile pour achever de boucler le cycle du phosphore et d'assurer un renouvellement sécurisé.

     

    Une protection mutuelle

     

    Les cultures associées jouent enfin un rôle crucial de protection mutuelle entre cultures. Cette protection est d'abord physique. Dans les milieux tropicaux où les pluies et le vent sont parfois extrêmement violents, l'érosion des sols est terrifiante. Des cultures pures sont un non-sens, voire une pratique criminelle, car elles provoquent une disparition progressive (et parfois rapide) des sols. Seules les cultures associées assurent une préservation des sols, car les arbres et arbustes le stabilisent contre l'érosion aérienne et amortissent la violence des pluies, et car une association de cultures à croissance différée permet de couvrir en permanence la terre. C'est un aspect crucial, trop souvent négligé.

     

    Par ailleurs, une grande diversité de cultures permet de créer un véritable « agrosystème », où certaines plantes vont abriter les prédateurs des parasites d'autres plantes (ce que l'on appelle les auxiliaires). Ce système assure une auto-régulation écologique qui peut être d'une efficacité spectaculaire et qui rend dérisoire l'obsession de la chimie.

     

    Enfin, n'oublions pas que certaines plantes peuvent servir de tuteur à d'autres plantes, ou que certaines cultures nécessitent l'ombre d'arbres (tels le café et le cacao, qui se développent mieux sous l'ombre de grands arbres de la forêt équatoriale... et qui peuvent abriter à leur tour des cultures vivrières implantées au sol).

     

    13 cultures associées au Nord-Bénin (© J. Caplat)

     

    Le résultat de ces techniques est spectaculaire et indiscutable : tout agronome sait (ou devrait savoir) que des cultures associées obtiendront toujours des rendements supérieurs aux mêmes cultures implantées séparément (de 20 à 100 % en plus). Bien entendu, cette démarche conduit à mettre en œuvre un autre système agricole. La mécanisation doit être repensée (elle reste possible dans les systèmes européens !), les filières économiques également, etc. Mais des innovations sont justement inévitables pour construire une agriculture pérenne et performante.

     

     

    « Interlude : à travers la presseLa main-d'œuvre agricole, handicap ou vertu ? »

    Tags Tags : , , , , , , ,