• Ce texte est celui de l'éditorial que j'ai eu l'honneur d'écrire pour le site de l'association JNE (journalistes et écrivains pour la nature et l'environnement), à l'occasion du Salon de l'Agriculture 2015. Il s'agit donc d'un billet d'humeur, lié à l'actualité. Mon prochain texte renouera avec les propositions d'évolutions agricoles à partir d'un sujet de fond, après cette parenthèse de deux articles plus « critiques ».

    La publication originale est disponible ici.

     

     

    La cause semblait entendue.

     

    De plus en plus d'études démontrent les ravages causés par les pesticides sur la santé humaine et environnementale (abeilles et pollinisateurs sauvages, sol, eau...), tandis que des paysans, notamment en agriculture biologique, font la preuve de l'efficacité de techniques alternatives. Les travaux des éthologues comme des économistes prouvent que l'élevage industriel est à la fois un scandale éthique et un terrible destructeur d'emplois. Les dernières statistiques établissent que les OGM n'apportent aucun bénéfice économique aux agriculteurs, augmentent leur dépendance vis-à-vis de l'agro-industrie et conduisent au développement de plantes ultra-résistantes puis à l'augmentation des doses de pesticides. L'actualité de la lutte contre le dérèglement climatique impose de se préoccuper de la gabegie énergétique de l'agriculture industrielle et chimique, et de promouvoir des agricultures plus résilientes, c'est-à-dire moins gourmandes en eau notamment. Toutes les enquêtes d'opinion confirment que les citoyens souhaitent dans leur immense majorité une agriculture respectueuse des territoires, de l'environnement et des humains. La Cour des Comptes elle-même s'alarme de voir l'argent des contribuables servir à financer des pratiques agricoles défavorables à la protection de la ressource en eau, selon une incompréhensible logique « pollueurs-payés ».

     

    L'ouverture du Salon de l'Agriculture offrait une bonne occasion pour annoncer la prise en compte de ces évidences et de ces nécessités vitales. En cohérence avec ses déclarations d'intentions en matière d'agroécologie, Stéphane Le Foll allait obligatoirement débloquer enfin les fonds nécessaires pour respecter son plan théorique de développement de l'agriculture biologique, annoncer des mesures pour stopper l'implantation de fermes-usines, confirmer le refus des OGM agricoles, réformer la recherche agronomique et l'enseignement agricole, promouvoir des variétés végétales plus adaptées à des étés secs de façon à éviter le recours aveugle à une irrigation destructrice des milieux.

     

    Étrangement, c'est exactement l'inverse qui vient de se produire. Dans une vidéo ahurissante, le ministre de l'agriculture fait une véritable déclaration d'amour à l'agriculture industrielle, se permettant même l'audace d'accuser ceux qui contestent sa prétendue nécessité. Et, à l'inverse de ses déclarations formelles en faveur de l'agriculture biologique contredites par l'absence délibérée de moyens pour son développement, cette fois-ci les actes suivent : après avoir relevé il y a un an le seuil d'agrandissement automatique des élevages porcins, Stéphane Le Foll annonce une prochaine mesure similaire en faveur du gigantisme des usines de volailles hors-sol. Relance des OGM de deuxième génération dont les VrTH (variétés rendues tolérantes aux herbicides), accélération des constructions de retenues d'eau pour l'irrigation... n'en jetez plus !

     

    Est-ce à dire que les intérêts des grands groupes agro-alimentaires, dont la FNSEA se fait hélas le relai au détriment de ses adhérents, passent avant ceux des citoyens et de la planète ? Il est étonnant que les agriculteurs, premières victimes de cette industrialisation, la soutiennent dans leur apparente majorité. Pourtant, « agrandir les exploitations » signifie mécaniquement... en supprimer une partie !, et donc jeter des agriculteurs au chômage. Le cas de l'élevage porcin est édifiant : la mesure facilitant leur agrandissement, prise en catimini il y a un peu plus d'un an pour « suivre » le mouvement international de concentration industrielle, n'a conduit qu'à aggraver la crise par une baisse continue des cours, à ruiner encore plus d'éleveurs, et à délocaliser encore plus l'abattage au détriment de l'emploi agro-alimentaire français. Est-ce donc ce fiasco social que le gouvernement veut transposer chez les volailles – sans oublier les dégâts environnementaux qui en découlent ? Le fait que le président du principal groupe agro-industriel français (cf. l'excellente enquête de Reporterre) soit également président de la FNSEA est-il pour quelque chose dans cette course en avant paradoxale ?

     

    Il serait temps que le Salon de l'Agriculture devienne autre chose qu'une vitrine complaisante d'un « modèle » agro-industriel dépassé et néfaste. Et si les terroirs cessaient d'être une ode au chauvinisme régional pour redevenir des lieux d'échange stimulants entre paysans et citoyens, où le « local » ne peut avoir de sens que si les pratiques sont respectueuses de l'environnement et des riverains ? Et si la modernité consistait à redonner aux paysans la maîtrise de leurs outils et de leurs choix au lieu de les rendre dépendants des multinationales ? Et si l'agriculture retrouvait sa capacité d'adaptation aux changements (notamment climatiques) au lieu de prétendre contraindre le territoire et les citoyens à s'adapter aux logiques industrielles ?

     

    La cause semblait entendue. Mais il n'est pire sourd...

     

     


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    Troisième consommatrice mondiale de pesticides (et largement 1ère en Europe), l'agriculture française tarde à faire son aggiornamento, alors que la nocivité de ces produits pour la santé humaine (en premier lieu celle des agriculteurs qui les utilisent) et pour l'environnement (sol, eau, air, biodiversité) n'est plus à démontrer. Certes, un plan adopté en 2008 dans le cadre du « Grenelle de l'environnement », le plan Ecophyto 2018, prévoyait de diviser par deux la consommation de pesticides agricoles en France en dix ans. À trois ans de son échéance, l'échec de ce plan est patent : non seulement cette diminution spectaculaire n'a pas eu lieu, mais l'utilisation de pesticides a même continué à augmenter avec insistance tous les ans, dont une croissance de 9 % entre 2012 et 2013. Une baisse de quelques pourcents aurait déjà consacré un net échec en regard des objectifs, une hausse continue représente une véritable claque.

     

    Faisant le bilan de ce fiasco, le ministre de l'agriculture vient d'annoncer un nouveau plan, Ecophyto 2, qui fixe désormais à 2025 l'objectif d'une division par deux des volumes utilisés en agriculture. Ce report était inévitable, mais le ministre se donne-t-il les moyens de réussir enfin ?

     

    Haies et bandes enherbées peuvent remplacer certains pesticides - Photo J. Caplat

     

    Des annonces qui ne manquent pas de courage

     

    Il faut reconnaître que les déclarations et affichages du ministre marquent une certaine fermeté formelle. Alors que la FNSEA (syndicat agricole majoritaire défendant le modèle agro-industriel productiviste) et l'UIPP (union des fabricants de pesticides, lobby très puissant dans le monde agricole) continuent à prétendre contre toute raison et toute décence que les pesticides ne seraient pas si dangereux, Stéphane Le Foll a osé reconnaître ouvertement que l'usage de ces produits est une véritable « bombe à retardement ».

     

    En préconisant une pénalisation financière des distributeurs qui ne parviendront pas à baisser de 20 % en 5 ans le nombre de doses utilisées, le ministre identifie l'un des leviers essentiels pour amorcer le changement agricole et fait preuve d'une relative audace. En effet, ce sont bien les distributeurs de pesticides qui sont aujourd'hui les principaux prescripteurs de pratiques chez les agriculteurs. Les toucher au portefeuille est sans doute la seule façon de les obliger à cesser de pousser les agriculteurs à la sur-utilisation de leurs produits, même s'il aurait été souhaitable d'aller plus loin et de séparer règlementairement la vente et le conseil.

     

    Il faut également saluer le maintien de l'objectif d'une division par deux des volumes utilisés. Dans la perspective d'une transition de l'agriculture, prévoir une évolution sensible en 2020 (baisse de 25 %), puis un début de basculement des pratiques en 2025 (baisse de 50 %) pourrait s'inscrire dans un véritable plan progressif et réaliste.

     

    Encore faudrait-il que ces échéances soient conçues comme les indicateurs d'un changement profond de pratiques agricoles... et non pas comme un but en soi. C'est ici que le bât blesse.

     

    Est-il possible de réduire fortement les pesticides sans changer de système agricole ?

     

    Les faits sont têtus. Même les agriculteurs les plus vertueux et les plus décidés à réduire leur usage des pesticides, ceux du réseau Dephy, n'ont réussi à parvenir qu'à une réduction cumulée de 20 %. Toutes les mesures préconisées dans le nouveau plan Ecophyto 2 (optimisation du matériel, recours au biocontrôle, rotation des cultures...) ne peuvent donc aucunement permettre une baisse de 50 %, puisque les faits prouvent qu'elles n'aboutissent au mieux qu'à une baisse de 20 %. Il n'est ni sérieux ni honnête de faire semblant que ces mesures puissent permettre d'atteindre l'objectif officiel du plan. S'en contenter n'est guère responsable.

     

    Sachant que la minorité d'agriculteurs les plus déterminés et les mieux encadrés n'obtiennent qu'une baisse de 20 %, qui peut sérieusement imaginer que l'ensemble des agriculteurs, dont certains traînent des pieds et feront forcément moins bien, puissent obtenir par magie une baisse 2,5 fois plus importante ? De qui se moque-t-on ?

     

    Les agriculteurs biologiques sont les meilleurs conseillers en changement de pratiques

     

    Il serait temps que Stéphane Le Foll cesse de considérer les agriculteurs biologiques comme une caste à part, qu'il n'intègre qu'à la marge dans la dynamique générale d'évolution de l'agriculture française sans leur donner réellement les moyens de leur développement.

     

    Toute marche en avant nécessite de savoir vers où l'on se dirige ! Parler d'une réduction drastique des pesticides sans reconnaître clairement que l'agriculture biologique est la forme la plus aboutie d'agriculture réduisant les pesticides (et pour cause), cela revient à marcher les yeux bandés. Réduire de 50 % l'usage des pesticides en France implique de toute évidence d'augmenter considérablement le nombre d'agriculteurs biologiques, qui appliqueront sur leur ferme une baisse de 100 % par rapport à leurs pratiques antérieures – et s'équilibreront ainsi avec la majorité des fermes qui se contenteront d'une baisse de 20 % au grand maximum. Il est ainsi inconcevable de ne citer l'agriculture biologique que comme un point de détail dans l'énumération floue des politiques liées à Ecophyto. Et malhonnête de prétendre vouloir la développer alors que les crédits de soutien à l'agriculture biologique ne respectent pas les engagements initiaux et ne permettront pas de poursuivre significativement sa croissance.

     

    Mais il faut aller plus loin que ce minimum de réalisme et de cohérence. La mise en œuvre de pratiques intermédiaires entre l'agriculture conventionnelle actuelle et l'agriculture biologique de demain implique de créer un pont entre les deux types d'agricultures. Il est absurde de demander aux agriculteurs conventionnels, même aux plus motivés d'entre eux, d'inventer tous seuls des techniques... qui ont déjà été inventées et expérimentées par les agriculteurs biologiques !

     

    Appuyer le plan Ecophyto 2 sur le seul réseau Dephy, c'est abdiquer l'objectif de division par deux et accepter de se contenter d'une baisse de 15 à 20 % en moyenne en 2025. La seule politique responsable et réaliste consiste à appuyer le plan avant tout sur les agriculteurs biologiques. Il va de soi qu'un agriculteur qui a réussi à réduire de 100 % son utilisation de pesticides pourra donner des conseils efficaces pour les réduire de moitié – alors qu'un agriculteur qui a échoué à faire mieux que 20 % de baisse ne risque pas d'être de bon conseil pour aller deux fois et demi plus loin.

     

    Prévoir clairement des étapes et une transition

     

    Bien sûr, les agriculteurs du réseau Dephy sont intéressants et ont leur rôle à jouer : un rôle de « premier pont » pour aller voir ensuite les agriculteurs biologiques, un rôle d'amorçage du changement, un rôle de démystification des nouvelles pratiques. Ils doivent rester un élément du dispositif. Mais cet élément n'a aucun sens – et ne permettra aucun résultat tangible – s'il ne s'articule pas avec le dernier étage de la fusée, le réseau des agriculteurs biologiques.

     

    Mon propos n'est pas de prétendre que tous les agriculteurs français pourraient passer en bio d'ici à 2025. Mais ce n'est qu'en observant les pratiques des agriculteurs biologiques que les agriculteurs conventionnels actuels peuvent apprendre comment réellement baisser significativement leur recours aux pesticides, c'est-à-dire comment changer réellement leur système de culture. C'est sur cette base que peuvent s'articuler d'autres étapes : fermes du réseau Dephy, promotion d'une agriculture intégrée (à mi-chemin de l'agriculture biologique), interdiction par palier des pesticides les plus dangereux (en commençant immédiatement par les néonicotinoïdes qui ravagent les abeilles et les pollinisateurs sauvages), etc.

     

    En l'état, même avec des trésors d'imagination et de confiance irrationnelle, je ne vois pas comment un plan qui met en exergue des résultats très insuffisants pourrait prétendre obtenir des résultats suffisants, comment un plan qui aménage à la marge le modèle actuel pourrait permettre de changer les systèmes agricoles. Il serait temps d'arrêter de se cacher derrière des annonces et des postures. Pour baisser de 50 % l'usage des pesticides en France, il faut changer d'agriculture. Et pour changer d'agriculture, il faut le vouloir, le dire et engager de vraies mesures de fond.

     

     






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